Jacob s’était senti con une première fois, lorsque le brun lui avait sèchement arraché la rose des doigts sans lui demander son reste. Il avait l’impression d’être puni, et un pincement dans le creux de sa main était venu confirmer cette théorie. Cependant, rien sur le visage du grand jeune homme ne trahit la légère douleur qu’il ressentit à cet instant, lorsqu’une épine vint mordre sa peau au passage, laissant sur sa paume une mince coupure d’où perlait les premières gouttelettes rouges.
Il s'était ensuite senti doublement con à l’entente de la première remontrance du jeune homme, qui tournait son petit énervement au ridicule. Evidemment qu’il aurait pu le dire simplement, mais Jacob avait en réalité bien trop peur de revêtir son rôle de pauvre inculte des quartiers pauvres pour lui demander les choses explicitement. Certes, il n’avait rien d’un ignare et avait même passé la majeure partie de sa jeunesse à étudier sans s’accorder le moindre répis pour parvenir à maîtriser les bases de la médecine. Mais, dès qu’il ne s’agissait plus de science exacte ni de bouquins muets, il ne savait rien des véritables choses de la vie et n'était pas capable de pas gérer la moindre conversation, prétextant pour sa défense la présence d’un trop grand nombre d’inconnus à l’équation.
Puis, il s'avéra d’autant plus accablé à l’entente d’une certaine douceur dans la voix du gérant, qui lui montrait une nouvelle fois la monstrueuse différence de civilité qui les séparaient. Si Jacob n’avait pas su mettre les formes, le fleuriste semblait, lui, redoubler d’efforts pour traiter son client avec un minimum de tact –alors que celui-ci critiquait pourtant ouvertement ses méthodes. Il lui avait donné une explication rationnelle alors même que ses critiques avaient toutes été plus infondées les unes que les autres. Néanmoins, le fleuriste se méprenait sur les intentions de son client à la crinière bleuté, et même si son apparence lui conférait cet air de jeune homme blasé qui vivait en son temps, Jacob aima l’idée d’une composition qui mettrait en valeur les fameuses Papa Meilland. Non pas qu’il raffolait particulièrement du style retro – il évitait même autant que possible la nostalgie des temps passés, qui le replongeait bien trop vite dans des les méandres de souvenirs dont il ne voulait plus - , mais ces fleurs dégageaient une aura mystique qui l’intéressait bien plus que n’importe quelle autre bouquet dans l’aire du temps.
Mais en fait, Jacob s’était réellement trouvé ridicule lorsque le fleuriste le congédia poliment. Il lui avait montré, avec une remarquable maîtrise des mots, qu’il l’avait assez importuné pour le moment, et que s’il n’avait rien d’autre d’abject à lancer gratuitement, il l’invitait à quitter les lieux. Et le pire fut qu’il avait dit tout ça avec une retenue telle que Jacob n’avait même pas eu le loisir de s’énerver.
A la place, il se sentait réellement con, et plutôt quatre fois qu’une, devant l’abandon qu’il avait finalement provoqué.
Décidément, en plus de tout faire de travers, Jacob semblait s’être frotté au mauvais type : il aurait mille fois préféré essuyer un direct du droit en pleine mâchoire que de subir l’affect du jeune homme. Il lui avait clairement montré son irritation, maniant un ton de remontrance tel que l’infirmier s’était senti comme un enfant grondé. Il fallait dire que le fleuriste avait ce quelque chose de respectable dans la voix, un air sage qui ne demandait qu’à être écouté – ou peut-être était-ce ses lunettes qui lui prêtaient son intellectualité. En tout cas, ce charisme humble et feutré était la principale raison pour laquelle Jacob n’avait pas été foutu de prononcer le moindre mot alors qu’il lui faisait la leçon. Mais surtout, il s’avait qu’il l’avait mérité.
D'ailleurs, puisqu'il avait justement cherché à l’éloigner, pourquoi se sentait-il désormais si alarmé à l’idée d’avoir blessé ce jeune homme lorsqu'il vit celui ci tourner les talons ? Ce n’était ni dernier, ni le premier à se voir touché par sa sécheresse, mais tout de même.
Jacob laissa traîner un regard morne sur la silhouette frêle qui lui tournait le dos, et il fut alors frappé par un drôle de sentiment. Il était confus, assailli par une mêlasse désagréable de honte, de peine, et une irrépressible envie de le retenir. C’était nouveau, et par conséquent particulièrement angoissant. Pourquoi diable voulait-il se faire pardonner, lui qui n’avait jamais ressenti ce besoin auparavant ? Après tout, il avait fallu que sa propre sœur se retrouve évanouie dans ses bras à la suite de sa première tentative de suicide pour qu’il daigne lui présenter des excuses. Ce type n’était qu’un parfait inconnu, Jacob aurait très bien pu poursuivre son chemin, quitter cette boutique de malheur et s’acheter des foutus Papa Meilland ailleurs.
Le jeune homme esquissa alors un mouvement vers la sortie, mais le souvenir de deux grands yeux émeraude, dont la protection offerte par le verre de ses lunettes ne parvenait pas à masquer le voile de tristesse et de mélancolie qui les avaient recouverts. S’il avait été dans une autre situation, Jacob aurait ri de sa propre faiblesse - mais il était là et tout ceci n’avait plus rien de drôle.
Il devait se rendre à l’évidence : il ne supportait pas l’idée d’infliger une telle tristesse à quelqu’un d’aussi doux que ce satané fleuriste.
Alors, Jacob s’était dirigé vers lui. Le brun n’avait pas encore regagné son poste, comme il le lui avait annoncé, et de nouveau la culpabilité serra le cœur du jeune homme. Il semblait désormais si dépité alors que, quelques minutes plus tôt alors que lui-même pénétrait dans la boutique, il avait l’air plutôt enjoué. Pas euphorique, mais relativement heureux. Jacob estima alors que ce n’était pas parce que lui-même était d’une humeur terrible qu’il devait l’imposer aux êtres qui respiraient le même air que lui.
Dans l’espoir de le rattraper, il posa sa grande main sur l’épaule du jeune homme. Il l’avait délibérément touché avec tout ce qu’il pouvait donner de délicatesse, de peur de le voir définitivement le foutre à la forte ou appeler la police. Il ne voulait plus lui donner envie de se méfier de lui, sans vraiment comprendre pourquoi d’ailleur. Une petite partie de lui tentait de protéger la sensibilité qu’il avait remarqué chez fleuriste, même s’il fallait pour ce faire la protéger de lui-même.
« Ecoute vieux… il s’était adressé au jeune homme d’une voix posée, et avec une familiarité qui semblait très malvenue au regard du très mauvais départ de leur conversation. Mais Jacob avait besoin de cette impertinence pour se donner le courage nécessaire pour poursuivre, et de toute façon, l’autre semblait avoir un âge assez proche du sien pour jeter ce vouvoiement qu’il détestait aux oubliettes. J’ai merdé pas vrai ?
Il avait posé la question sans réelle intention de le laisser répondre – ils savaient tous deux la réponse. Son regard s’accrochant un peu partout autour du beau brun sauf sur lui, Jacob se gratta la nuque, l’ébauche d’un sourire piteux étirant avec peine la commissure de ses lèvres.
— En fait, je fais toujours ça…Dire n’importe quoi, j’veux dire. C’est pas ta faute, il m’arrive d’être un peu con.
Il releva ses perles bleu sur le fleuriste, qui semblait au moins l’écouter, sans pour autant réagir. Il lui faudrait sans doute un peu plus que l’euphémisme que Jacob venait de lui servir. Pour une fois dans sa pauvre vie, celui-ci devrait faire un peu plus d’efforts.
Il s’éclaircit la gorge pour se donner une contenance, la main toujours fixée à sa nuque. Là, il semblait vraiment embarrassé.
— Ok, bon, j’ai été très con même. Le truc, c’est que… il hésita un moment, cherchant ses mots, tandis que sa voix perdait de son ironie. Tu vois, j’ai jamais vraiment vu de choses pareilles, les roses, tout ça. C’est pas mon truc, je viens pas d’ici et, chez moi, c’était pas trop le genre à aller acheter des fleurs pour le repas du dimanche.
L’infirmier se perdait dans ses propres explications, incertain dans ses choix de mots autant que dans celui de l’attitude à adopter. Le brun à qui il faisait face le perturbait vraiment, lui le grand mec qui était supposé se foutre de tout. Ses pupilles semblaient le sonder alors qu’il peinait à sortir une phrase après l’autre. Son visage respirait quelque chose de tendre qui invitait Jacob à se confier, sûrement un peu trop selon ce dernier, mais à ce stade il n’y pouvait plus rien. Il pris une ample inspiration avant de soupirer, tentant vainement de conclure.
— J’ai vraiment beaucoup aimé les Papa Meilland. Tu vois, j’ai l’impression que… Qu’elles ont plus de trucs à dire que les autres… Qu’elles ont plus vécu. C’est comme si elles avaient tout traversé, et que même après ça elles étaient encore là, même plus belles encore avec leurs cicatrices. C'est pour ça que, hm, je pensais qu'elles valaient mieux que les autres, en quelque sorte.
Le jeune homme hésita avant de continuer, lâchant enfin sa nuque sur laquelle il avait probablement laissé le souvenir des quelques gouttes de sang qui avaient perlé sur sa main. Mais à ce moment là, il se concentrait uniquement sur le regard dans lequel il eut l'impression de s’enfoncer chaque minute un peu plus.
— Mais ça c'était avant que tu me rabattes le clapet avec tes connaissances. Jacob étouffa un léger rire rauque à l'évocation de cette réelle humiliation. Je suis personne pour te dire comment faire ton boulot, alors, mh... J'veux dire... Désolé. »
Pour ponctuer ses paroles, le jeune homme se trouva soudainement une passion nouvelle pour le sol du magasin qu'il fixa avec embarras, trop peu habitué aux excuses pour voir l'effet qu'elle auraient sur le charmant fleuriste. Et, étrangement, il espérait peut être un peu trop fortement que celui-ci le pardonnerait.