Mains. ▬ Cóemgen.


    Monsieur
    Monsieur 
    Groupe : ◕ Appelés ▬ Air
    Nom et prénom : Rafael Rosenbach
    Genre : Masculin
    Âge : 39
    Origine : Allemande (ex RDA)
    Emploi : Professeur de français
    Aptitudes : /
    Particules : 65
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    Re: Mains. ▬ Cóemgen. ▸ Mer 5 Sep 2018 - 1:42

    Elle se consumait vite. Trop vite.
    Elle était trop fine peut-être, ou alors angoissait-il plus qu'à l'accoutumée ? La compagnie ne lui avait que trop manqué. Incapable alors d'être pour lui-même et d'apprécier un instant qui prendrait immanquablement fin trop tôt, il regardait la mer et son air d'éternité à ne pas toucher, le remous de métronome des vagues à marée basse, oubliait qu'il se brûlerait bientôt les doigts. L'air fraîchissait, mais aucun d'entre eux ne semblait s'en souciait. Il se disait que peut-être le jeune homme aurait du mal à anticiper le froid, mais restait assis sur son manteau. Le lui proposer après tant de négligence lui semblait déplacé.

    Il parlait énormément. Pas trop, cela dit. On ne parlait jamais trop. C'était lui qui parlait trop tôt. Il avait du mal à croire que cette personne puisse être aussi seul qu'il semblait le penser - il n'était cependant personne pour le juger, alors s'abstenait de trop le faire. Sa retenue était obligée, ce soir-là. Sa politesse remarquable.

    - Allowin, alors. Celui qui autorise et qui l'emporte.

    Simple travail de polyglotte plus que de linguiste. L'anglais, ce n'était pas son domaine d'étude. Il se contentait de le parler avec un accent brutal, solide et viride, qui n'allait pas du tout avec son corps. On le lui disait souvent. Il n'avait pas l'air allemand.

    - Tu ne m'ennuies pas. Il écrasa son mégot contre sa semelle, parce qu'il avait oublié qu'il était assis sur le sable, et il garda le reste de sa décrépitude entre les doigts. Je ne suis pas botaniste, mais m'est d'avis que, même chez les fleurs, la vie doit être bien solitaire.

    Il n'y connaissait rien et se moquait éperdument de ce qu'il avançait. Les fleurs interagissaient peut-être entre elles, toujours était-il qu'elles n'avaient pas de quoi sortir dans les bars et fonder des familles sous l'ordre dicté par un lettré aux pauvres gens, ordre commode, « multipliez-vous » et faites en sorte de garder la terre fertile. Les plantes, elles, n'avaient besoin de l'ordre de personne. Pas de dieu à consulter. Pas de fleurs plus jeunes à éduquer.

    - Je ne rencontre personne. Mon cercle social se limite à mes collègues de travail, quand ils arrivent à me voir. Il paraît que je suis quelqu'un de discret.

    Vertu cardinale.

    - Parfois je parle aux gens dans les bars. Aux commerçants chez qui je consomme régulièrement. Le tabac-presse du centre. L'épicerie biologique. Le cinéma d'auteur. Je suis plus bavard lorsque je finis ma journée autour d'un cognac.

    Il ne savait pas ce qui le faisait tant parler. L'ennui, probablement. Il accordait une attention toute particulière à la semelle de sa chaussure. Il était souple mais tordu. Peut-être pas simplement par volonté. Une scoliose, a priori, et un soupir.

    - Je me fiche bien de qui tu es, tu sais. Il ne réfléchit qu'après coup. Un peu tard. Dans le sens où la personne que tu es m'importe peu pour... tisser une relation. Quelle qu'elle soit. Son regard se posa sur lui, comme s'il venait de se souvenir de son existence. Son geste fut guidé par le cadavre de sa médiocrité vers ses lèvres, s'arrêta doucement, fut tout encombré près de son visage. Je veux dire... je suis Monsieur parce que c'est mon rôle professionnel et social. Tu peux être qui tu veux. Dans la vie, avec les autres, avec moi... Tu peux être qui tu veux. Tu ne pourras jamais être plus seul que dépourvu de toi-même. Monsieur, c'est tout sauf énigmatique. C'est d'une bêtise affligeante, c'est le rôle de n'importe qui, c'est dépossédé, désincarné parce que trop incarné... Monsieur c'est l'avatar de beaucoup trop de monde pour être encore mystérieux. C'est impersonnel, voilà. C'est quelconque et ça n'apprend rien. C'est très triste, Monsieur. Tant mieux si tu ne peux pas l'être.

    Monsieur, au moins, ne pouvait pas être seul, habité comme son nom l'était de fantômes anonymes, d'une histoire plus vaste que les terres qu'il avait foulé. Il n'était pas seul, et c'en était royalement perturbant.
    Nouvelle cigarette allumée. Il s'était brûlé les poils des narines avec le briquet et sentait le poulet. Il soufflait grossièrement pour se débarrasser de ce trop de naturel.

    - Voilà une éternité que je n'ai pas acheté de plante.

    Il était allergique à tout.

    - Les noms, c'est précieux. Tu permets et tu gagnes. Ce sont les attributs des bons chefs, dit Rafael sans savoir pourquoi.
    Mains | ft. Cóemgen


    Cóemgen
    Cóemgen 
    Groupe : ◑ Oubliés ▬ Terre, Feu
    Nom et prénom : Cóemgen Kergoat
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    Re: Mains. ▬ Cóemgen. ▸ Jeu 12 Mar 2020 - 16:35

    Mains. ▬ Cóemgen. - Page 2 JPdpChV

    Mains. ft Monsieur






    Coemgen fixait toujours la silhouette élégante de l'homme assis à ses côtés, toujours sans réellement distinguer son visage, uniquement ses contours incertains. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi détendu en compagnie de quelqu'un d'autre. L'alcool aidait certainement.

    L'analyse de l'étymologie du surnom qu'il s'était donné le fit sourire, bien qu'il ne partageait pas tout à fait le même point de vue quant à l'origine du nom.

    - Certes, j'imagine qu'on peut le voir comme ça... Je n'y avais pas trop pensé à vrai dire. Mais je ne suis pas sûr que cela me corresponde alors ! Il rit. Allowin, c'était le nom de mon grand-père. Ma grand-mère m'avait raconté que cela signifiait plutôt "aimé de tous" ou "ami de tous", quelque chose comme ça... Mais c'est un prénom qui s'est transformé au fil du temps, je ne suis pas sûr que ce soit celui qui lui ait été donné à sa naissance.

    Il sourit encore plusieurs minutes en repensant à son grand-père.

    - Oui, tu as raison, les plantes n'ont pas vraiment de relations sociales... Mais elles ont des liens, certaines se parlent, ou s'envoient des signaux... et tout à l'air beaucoup plus simple.

    Plus simple que pour lui, tout du moins.

    Il fut surpris par le flot de paroles soudainement plus important de Monsieur. Il était encore un peu perdu mais parvint tout de même à suivre, plus ou moins. Il resta silencieux néanmoins, jusqu'au bout de son discours. Il était soulagé d'entendre qu'il n'était pas le seul à ne pas rencontrer grand monde en dehors de son travail ou de ses rares sorties quotidiennes. Dans la bouche de Monsieur, cela paraissait même normal. C'était normal, Cóemgen ne le réalisait qu'à ce moment-là. Pourtant, bien que savoir que sa vie sociale n'était pas un échec, il ne parvenait pas à faire taire la mélancolie qui lui brûlait l'estomac. Il avait besoin de plus que de simples discussions avec des inconnus pour guérir.

    Lorsqu'elles reprirent après une légère pause, les paroles du professeur résonnèrent tout particulièrement aux oreilles du brun. Il lui sembla soudain que Monsieur l'avait très bien cerné, peut-être trop bien. Encore un peu ivre, il s'imaginait déjà que l'homme soit doué d'un curieux don de clairvoyance ou bien savait très aisément tirer des conclusions de ce qu'il voyait. En tous cas, il comprenait chaque mot et il lui semblait qu'ils avaient été spécialement choisis pour qu'il se détende, pour qu'il se sente mieux et même pour qu'il s'accepte. C'est exactement ce qu'il se passait, à mesure qu'il discutait avec Monsieur il dédramatisait, se demandant même ce qui l'avait poussé à boire autant.

    "Tu peux être qui tu veux. Tu ne pourras jamais être plus seul que dépourvu de toi-même." Cette phrase ne voulait plus quitter son esprit. Elle retentissait en boucle dans sa tête, alors que le silence était depuis longtemps revenu. Monsieur avait raison.

    - Je ne suis pas Allowin. Ça ne me correspond pas. Je ne sais pas exactement ce que ça vaut, mais en fait je m'appelle Cóemgen, c'est un dérivé du prénom Kévin et ça veut dire "enraciné".

    Sans réelle raison, Cóemgen se sentit soudain gonflé de fierté, comme si porter son nom était un honneur. En réalité, il adorait son prénom et il était très conscient qu'il lui allait à merveille. Même si le côté cliché du fleuriste "enraciné" l'avait parfois fait grimacer. C'était exactement comme cela qu'il se sentait : enraciné. Mais enraciné comme un arbre esseulé, sur une terre sèche et cassante qui menace de s'écrouler et de tomber au fond d'un ravin. Habituellement, c'est comme ça qu'il se voyait. Mais ce soir, un inconnu était venu lui tenir compagnie. Malgré la menace et le vertige, cela lui faisait un peu de bien, quelque part, à travers son écorce friable.

    - Je ne pense pas que tu sois quelconque. Tu es très... humain. Humainement bon. Moi c'est plutôt ça que je vois derrière "Monsieur", un homme avec un cœur. Vivant. Et de sexe masculin, par ailleurs.

    Il sourit après cette dernière phrase, allusion à sa propre condition qu'il était le seul à comprendre.

    - C'est très dommage que tu n'achètes pas de plantes. Elles sont de très bonne compagnie, silencieuses. Ce n'est pas triste chez toi, sans verdure ?

    En tant que fleuriste, il avait bien du mal à imaginer un intérieur sans fleurs. Il entendait bien que tout le monde ne pouvait pas vivre dans une jungle mais quand même, jamais il n'avait vu un logement sans une seule petite plante.

    - Tu vis ici d'ailleurs ?





    Monsieur
    Monsieur 
    Groupe : ◕ Appelés ▬ Air
    Nom et prénom : Rafael Rosenbach
    Genre : Masculin
    Âge : 39
    Origine : Allemande (ex RDA)
    Emploi : Professeur de français
    Aptitudes : /
    Particules : 65
    Messages : 203
    Re: Mains. ▬ Cóemgen. ▸ Sam 21 Mar 2020 - 3:26

    - Les plantes ne bâtissent pas de civilisation. C'est l'apanage de ton grand-père et du mien.

    Rafael.
    Il regarde la mer comme une victoire et la grandeur de l'eau n'appelle aucune réponse. Son visage semble à jamais construit pour être de profil.
    Le regard de biais cherche au sable la réponse enterrée, suggère un silence qu'ils entretiennent en collégialité, l'agréable compagnie : il a toujours apprécié les badauds capables de se taire.
    La mer du Nord infinie à le perdre.
    Il fatigue sûrement, noie cette dernière lueur dans l’œil, maintient l'attention d'une main ferme. L'air rassure sa peau usée ; demain il fera tendre. Remous, remous, l'écume les course, les algues lèchent la naissance de leur paix : le mystère du noir de l'eau jalousement gardé hors de sa vue, lui qui ne cesse de regarder. Il ne voit rien. Le noir du ciel et le noir de l'eau. Le bleu bouclé des charmes astraux, le lointain reflet, peut-être bien le gris sage de sa lassitude et l'orange irisé de la sueur alcoolisé du camarade — il sourit.

    Cóemgen sourit mais il ne l'entend pas.
    Douce promesse dans le cou dictée, sa main s'y pose, rien — un moustique, le Gabriel des moustiques.
    L'imperméable de son profil ne donne à voir qu'un sourcil froncé. Se pourrait-il que...
    Claquement de langue horripilé, ses narines frémissent. Il a retrouvé le chemin vers le paquet de cigarettes de son sac et range le mégot à l'intérieur, en tire une nouvelle, tire le feu du manteau, tire une latte, tire le rabat en carton ; le tout s'échoue entre eux, briquet en équilibre. Il veut qu'il entende sans avoir à parler.

    Cóemgen. Il écoute depuis la ronde de l'eau, la musique portée en fine mousse salée à leurs pieds. Il écoute.
    Une folle pensée étreint sa joue comme la brise, ses yeux se plissent. Comment se fait-il qu'il garde cette manie kafkaïenne alors même qu'il ne partage son paquet avec personne ? Cela avait un sens à Berlin, à Bayonne, à Paris, mais à Stonehaven ? Personne ne fumait comme lui. Personne n'achetait de paquets de marque médiocre pour substituer son contenu avec des cigarettes de meilleure qualité : cela devait avoir un sens dans les années 40, et puis après...
    L'autre reprend la parole, tandis que les trop longues mèches de cheveux errent contre les joues creuses. Cóemgen prononce enfin son nom et le sang de Monsieur se glace.

    La mer lui mentait comme elle ment toujours, à susurrer, à cajoler de sel et de sable quoi, les os rongés par l'angoisse, l'absurde cauchemar de la gorge nouée ; il oublie comme il a entendu ce nom prononcé par les vagues, il oublie — le pressentiment, le don de voyance, le temps sonore, car il sait ce qu'il a entendu comme il sait ce qu'il n'entend plus.
    Le nom s'incarne et s'enlise, la roche sédimentée et le ciment coulé, le souvenir de l'eau est ferme. La cigarette se consume de moitié, l'extrémité rougeoyante d'un sursaut désespéré. La cendre se mêle à ses cheveux. Il meurt d'envie de le prononcer. Rafa...

    - Élémentaire, échappe-t-il la voix tirée vers le sol malgré son dos bien droit. Son propre silence le surprend dans l'intimité ; il retire la cigarette d'entre ses lèvres, le visage confus. Pour quiconque travaille la terre.

    Sa propre maladresse le dépasse. Ses jambes frémissent, mais il n'est pas chez lui. Il ne bouge pas, ne prend aucun plaisir à finir sa cigarette.

    On rêve une trêve sur le manteau. L'esprit manque affreusement, tout coule ; il regarde à l'intérieur et ne trouve que des noyés sur lesquels l'écume crache et roule. Il est en guerre et il est planqué : quatre ans et la survie car il saurait n'être que la boue lâche des tranchées qui ruissellent, l'héritage odieux, le douloureux rempart érigé sur son corps qui gît là, il gît et jure ne plus sentir son coeur.

    La fleur timide éclot comme son rire.

    - C'est ce qu'il s'est dit, en effet.

    Personne ne s'arrête à cela, personne ne se suffit de cela. Il vient cueillir le sucre du tabac, ne comprend la flamme que lorsqu'il respire l'air vicié.

    - Je n'aurais jamais pu tuer de dragon ni restituer un message clair, alors on m'a confié l'esprit des hommes. Ma foi.

    La mer se retire au même rythme que son rire s'étiole, sourd et éraillé. Ses yeux mi-clos tournés vers elle semblent être à l'origine d'une telle régularité. Il ne sait plus comment faire.
    Le sourire reste, impassible. La cigarette tremble.

    - C'est probablement triste. J'ai essayé de les garder en vie mais lorsqu'elles vivent, c'est moi qui meurs. Il repartit d'un gloussement bref, offrit le paisible visage à sa réplique pour cacher sous la frêle poitrine le souffle intense du malaise à prévoir. Il ne faisait pas bon être le premier rôle. Je n'aime pas faire mourir des plantes, certainement pas par confort. On ne croirait pas, c'est vrai, mais l'on s'habitue au calme d'un cimetière lorsque l'on n'a d'autre choix qu'y résider.

    Sur quoi yeux et menton guident la pauvre âme vers le centre ville derrière eux.

    - À peine à quelques rues d'ici, plein centre historique. Une affaire, m'a dit le propriétaire. L'appartement a du charme, c'est indéniable. Je dois être ivre, déclare-t-il, convaincu d'avoir rêvé cette dernière pensée, car il n'espère pas être si enclin à partager son intimité avec un soûlard rencontré une heure auparavant. J'ai sans doute trop bu, et cela expliquerait comment il a pu connaître son nom avant qu'il ne le dévoile.

    - Je... Où dois-tu rentrer ? Je ne te laisse pas seul.

    Il rallume la cigarette qui s'est éteinte sous l'effet du vent.
    Mains | ft. Cóemgen


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